Salvatore SCIARRINO about the album UNIVERSE (text from the booklet)
Jean-Pierre Collot,
le mie Sonate per pianoforte
Negli esempi di Boulez e Stockhausen fiorì l'articolazione
dissociata, fatta di salti rapidissimi. Era
circa metà del secolo scorso, a chi suonava sembravano
passi difficili, però non superavano dimensioni
ragionevoli. Divennero presto luogo
comune, appassendo su ogni pagina di musica,
comprese le mie giovanili.
Ma se un gruppo di questi si prolungasse, attraversando
i limiti del possibile? La percezione entrerebbe
in allarme e si accosterebbe al mondo dei
fenomeni naturali. La mia III Sonata comincia così,
la materia sonora compie le sue trasformazioni in
un fiato senza fine.
Quando il brano fu scritto, l'idea di tempo curvo
restava un'ombra lontana per i primi eroici esecutori,
tale la resistenza richiesta nella coordinazione
pianistica e nel plasmare il timbro.
Giungono ora le interpretazioni di Jean-Pierre Collot,
e portano l'emozione degli spazi in movimento;
oltre al dilatarsi e contrarsi delle costellazioni,
diviene percepibile il piegarsi dei piani dimensionali,
e il fondersi del suono in un'altra
musica.
Ammiro la disciplina di cui Jean-Pierre, come pochi,
è capace. Occorrono anni ed anni nel maturare il
miracolo del linguaggio e del pensiero: interpretare
significa davvero scoprire e riscoprire, con entusiasmo
par tecipare.
— SALVATORE SCIARRINO
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Jean-Pierre Collot,
mes Sonates pour piano
Dans l'oeuvre de Boulez et Stockhausen fleurit une
articulation disjointe, faite de sauts extrêmement
rapides. C'était vers le milieu du siècle passé, ces passages
semblaient difficiles à l'exécutant mais n'allaient
pas au-delà du raisonnable. Ils devinrent vite des lieux
communs qu'on retrouvait sur chaque page de musique,
y compris dans mes pièces de jeunesse.
Mais qu'adviendrait-il si l'un de ces passages se prolongeait
au-delà des limites du possible? La perception
s'affolerait et se rapprocherait du monde des
phénomènes naturels.
Ma troisième sonate commence ainsi, la matière sonore
s'y transforme en un souffle sans fin.
Lorsque le morceau fut écrit, l'idée d'un temps
courbe restait un mirage pour les premiers interprètes
héroïques dont l'endurance était requise tant
au niveau de la coordination pianistique que du façonnage
du timbre.
Voilà que nous arrivent aujourd'hui les interprétations
de Jean-Pierre Collot, et elles mettent l'émotion
des espaces en mouvement. Au-delà de la
dilatation et de la contraction des constellations, c'est
le fléchissement des plans dimensionnels et la fusion
du son en une autre musique qui nous deviennent
perceptibles.
J'admire la discipline dont Jean-Pierre est capable
comme peu d'autres. Il faut des années au miracle du
langage et de la pensée pour mûrir: interpréter, c'est
découvrir et redécouvrir, c'est, avec enthousiasme,
participer.
— SALVATORE SCIARRINO
(Traduction: Claire Angelini)
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Jean-Pierre Collot,
my piano sonatas
There is a wealth of dissociated articulations in the examples
by Boulez and Stockhausen, consisting of very fast
leaps. This was around the middle of the last century, and
they seemed to be difficult passages for the players, despite
the fact that they did not exceed reasonable dimensions.
Soon they became commonplace and
appeared on every page of music written, including those
of my youth.
What would happen though if one group of those was
prolonged and stepped out of the range of what is possible?
Perception would cry out in alarm and would approach
the world of natural phenomena. This is how my
Sonata No. 3 begins, the sound material concludes its
transformation in a never-ending breath.
While I was writing this piece, the idea of curved time
was still a far-away shadow for the first heroic performers:
such is the resistance required for the pianist’s coordination
and the shaping of the sound.
Now, we have Jean-Pierre Collots interpretations, which
transfer the spatial emotion into movement; and beyond
the elongation and contraction of the constellations, we
may perceive the bend of the dimensional planes, and
the foundation of the sound in another music.
I admire the discipline Jean-Pierre is capable of in a manner
only few can achieve. It takes many years to mature
the miracle of the language and thought: interpreting
does indeed signify discovery and re-discovery, participation
with enthusiasm.
— SALVATORE SCIARRINO
(Translation: Sibyl Marquardt)
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Jean-Pierre Collot,
meine Sonaten für Klavier
In den Werken von Boulez und Stockhausen findet sich
eine Fülle abgesetzter Passagen aus sehr schnellen Sprüngen
und voneinander gelösten Intervallen. Für die Pianisten
in der Mitte des letzten Jahrhunderts schienen dies überaus
schwierige Passagen zu sein, obwohl sie die üblichen
erreichbaren Dimensionen nicht sprengten. Bald jedoch
wurden sie in der Tat zu alle Musikwerke durchdringenden
Allgemeinplätzen, einschließlich denen meiner Jugend.
Was jedoch, wenn eine solche Wendung sich ausdehnte,
und die Grenzen des Möglichen hinter sich ließe? Die
Wahrnehmung schlüge Alarm und würde hindrängen
zum Reich der Naturphänomene. So nimmt meine Sonate
Nr. 3 ihren Anfang: das Klangmaterial vollendet seine
Transformationen in einem unendlichen Atemzug.
Zur Entstehungszeit dieses Stückes war der Gedanke einer
Plastizität der Zeit nur ein schwacher Schemen einer Idee
für die ersten heroischen Pianisten, die das Werk aufführten:
so sehr verlangt es nach Ausdauer bei der pianistischen
Virtuosität und Ausdruckskraft bei der Klangfarbgebung.
Nun dürfen wir die Interpretation von Jean-Pierre Collot
und die von ihm erreichten räumlichen Emotion im Fluss
erleben; über die Expansion und Kontraktion der Konstellationen
wird auch die Biegung der räumlichen Ebenen
spürbar, und das Verschmelzen des Klangs in einer
neuen Musik.
Ich bewundere die Disziplin, die Jean-Pierre auszeichnet
wie nur wenige. Jahre, wenn nicht Jahrzehnte sind für die
Reifung des Wunders der Sprache und der Gedanken
vonnöten: Interpretation bedeutet wahrhaftig Entdecken
und Wiederentdecken, eine enthusiastische Teilhabe.
— SALVATORE SCIARRINO
(Übersetzung: Sibyl Marquardt)
Goethe et ses spectres
Ce disque splendide m’a frappé par son cheminement, difficile à identifier pour moi car il s’agit d’une reprise intégrale de problématiques que j’ai le plus souvent oubliées. Tu te fais scrutateur, herméneute, historien des cultures, bref lecteur des motivations et implications d’un processus dont je n’ai jamais eu la conscience totale. L’interprète peut parfois mieux comprendre un compositeur que celui-ci ne se comprend lui-même.
Cette lecture à plusieurs niveaux interroge l’histoire et me place dans une perspective historique. Elle ne procède pas seulement à une confrontation de ma musique avec celle de Schubert mais m’inscrit dans une généalogie de l’écriture pianistique. Au fil du temps la sonorité pianistique s’est approfondie strate par strate. La résonance creuse la résonance et accomplit son périple dans le monde d’en-bas. Et j’y découvre avec stupeur un monde d'affinités dans la noirceur. Car Schubert est noir, plus encore que ne le sera Schönberg. L’interprétation que tu en donnes coupe court au pathos et à la mélancolie. Elle n’est pas sèche et découvre une splendeur hermétique. Gretchen am Spinnrade sonne comme une péroraison, une moralité qui clôt le long processus du disque tout en suggérant: « ma fin est mon commencement ».
Rosen dit dans sa Génération romantique (p. 175 de la traduction française) que les grands cycles de la mélodie romantique donnent un statut épique, monumental (Denkmal) à « l’expression lyrique de la nature ». Ton disque retrouve ce caractère monumental, qui soude la pensée et le fond des choses en une même irruption. Rosen associe également la première forme de la musique romantique à l’espace du paysage, qui transforme les rapports du proche et du lointain. Le sommet de cette forme d’expression se découvre avec les espaces flottants, en suspens, de la peinture chinoise ou hollandaise. Il me semble que tu as retrouvé au piano ces flux sans contours, cette temporalité mouvante - tantôt expansive, tantôt contractée - qui n’appartient ni au domaine de la représentation ni à celui de l’action.
Je trouve sublimes les deux versions de Meerestille, un « paradis d’efflorescence » dirait Gracq. La vision de Schubert est rendue comme un remous d’éternité. Tu donnes à la mienne l’allure d'une émergence lancinante, d'une rumination du Destin plutôt que d'une luxuriance des eaux. La paraphrase obsessionnelle des deux accords de Debussy y prend une dimension fantomatique qui n’est ni répétition ni devenir et s’apparente à une errance entre deux mondes.
Avec Rastlose Liebe, le disque commence par l’allégresse tragique, comme un hymne à l’impatience. Puis, après Schubert, l’on s’enfonce, dans mon cas, dans les vicissitudes de la dynamique abyssale, dans le monde inéducable de la pulsion. La synchronie des mains est parfaite: une contradiction en acte.
Je ne puis m’étendre. An Schwager Kronos restitue bien la contradiction de la pièce, l’opposition de la surface et de la profondeur, l’adieu aux contrepoints ratés comme au langage vernaculaire. Quant à Erlkönig, c’est la pensée qui est à l’œuvre et se sublime, à rebours des idées reçues, dans l’œuvre de la main.
L’ordre est essentiel à l’édification du disque. Il est surprenant et c’est le bon. Je n’y aurais pas pensé. C’est un équilibre progressif d’affinités et d’oppositions. Je te sais aussi infiniment gré d’avoir exhumé et reconstitué le contenu du livret. En effet, les clés étaient là et auraient été perdues.
Il me faut te quitter, cher Jean-Pierre. On dirait que ce disque est le paradigme et l’amorce de tes concerts futurs. Je m’en réjouis profondément car ton piano fait aussi œuvre de philosophie.
Avec toute mon amitié,
Hugues
(Mail de Hugues Dufourt à Jean-Pierre Collot, 4 mai 2020)